Nous parlons depuis plusieurs vidéos des effets néfastes de notre système néolibérale, du capitalisme et du consumérisme notamment sur notre environnement mais aussi au niveau de notre santé mentale. Nous avons déjà tenté d’apporter quelques réponses à ces maux mais est-ce qu’il ne faudrait pas aller encore plus loin avec une refonte de notre système économique ?
Le concept que nous allons aborder semble faire peur à beaucoup d’hommes et femmes politiques, mais est-ce que la solution ne viendrait elle pas de la décroissance ?
Qu’est-ce que la décroissance ?
Afin de partir sur de bonnes bases et de bien comprendre de quoi nous parlons, il est toujours bien de commencer par quelques définitions. Alors la décroissance qu’est-ce que c’est ?
Le Larousse nous propose une définition plutôt sommaire en définissant la décroissance comme l’action de décroître, d'une diminution en termes de volume. Il donne en synonymes le déclin, la réduction.
Le Larousse propose également une définition au point de vue économique. Il indique qu’il s’agit d’une “Politique préconisant un ralentissement du taux de croissance dans une perspective de développement durable.”
Nous avons ici une définition intéressante car elle sous-entend que la décroissance est un outil pour mettre en place une nouvelle… croissance. Décroître pour mieux croître. En effet, le développement durable ne renonce pas à la croissance économique et comme l’indique Aurélien Barrau, astrophysicien, philosophe et poète sur le plateau de C Politique sur France 5, “Le développement durable est une fake news, ça n'existe pas. Il n'y a pas de moyen de continuer à ne rien changer à notre niveau de vie sans que cela nous détruise”
Pic : Wikimedia Commons
Nous nous retrouvons donc un peu ici dans une impasse. Cependant, nous pouvons aussi nous intéresser à la définition de Timothée Parrique, docteur en économie et auteur d’une thèse sur le sujet et pour qui la décroissance et la
Pic : Mathieu Génon
“réduction planifiée et démocratique de la production et de la consommation dans les pays riches, pour réduire les pressions environnementales et les inégalités, tout en améliorant la qualité de vie”.
Pour lui, la décroissance est une transition temporaire pour apprendre à prospérer avec une empreinte écologique beaucoup plus basse qu'aujourd'hui. Le but est d’apprendre à prioriser pour maintenir la qualité de vie et c’est pour cela qu’il insiste bien sur quatre caractéristiques : la soutenabilité, la justice, le bien-être et la démocratie.
Dans ce schéma, la décroissance doit amener à une société post-croissance avec une économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance” (Issue de son livre ralentir ou périr).
On se retrouve déjà avec une définition un peu plus précise.
Timothée Parrique précise également dans une interview pour Bon Pote que dans cette définition, il ne s'agit pas d’une version miniaturisée de notre modèle économique actuel mais d’un système économique alternatif. La décroissance c’est aussi la dé-croyance, le fait d’abandonner l'idéologie de la croissance et sa vision matérialiste du progrès, du toujours plus.
La décroissance est en opposition à la croissance économique et à son système de valeurs. Elle s’oppose donc également au concept de croissance verte qui applique notre modèle actuel mais avec des énergies renouvelables. Avec la croissance verte il y aura peut-être une baisse de l’empreinte carbone mais il n’y aura pas de baisse des inégalités et elle aura toujours des conséquences négatives sur l’environnement et la biodiversité. Pour paraphraser Aurélien Barrau, on aura beau déforester une zone pour construire un parking avec des bulldozers qui roulent avec une énergie verte au final le résultat et le même, nous aurons détruit une forêt.
La décroissance est également en opposition avec le capitalisme qui a un objectif d’accumulation du capital. Timothée Parrique indique dans un interview pour Reporterre que “si l’on veut prospérer sans croissance, il va nous falloir changer les institutions qui composent le système capitaliste — l’organisation du travail sous le salariat, la concentration des moyens de production, l’organisation de la production avec l’objectif de la lucrativité et la vente de marchandises sur des marchés.”
La décroissance c’est sortir du raisonnement du profit à tout prix et se demander ce dont nous avons réellement besoin pour vivre. C’est avoir des points d’équilibrage pour par exemple produire le juste nécessaire et abandonner certains secteurs de production de biens et services.
Nous constatons ici que plus qu'un simple mot, la décroissance est un véritable concept pour proposer un autre fonctionnement de notre économie et de notre société.
Pourquoi la décroissance fait-elle peur ?
Nous venons de le voir, la décroissance peut faire référence à des champs d’actions plutôt larges en mettant en corrélation plusieurs domaines et dans le but d’améliorer notre qualité de vie. Pourtant aujourd’hui la décroissance semble faire peur ou ne pas être comprise.
En tout cas aujourd’hui, c'est clairement la croissance qui est encore plébiscitée à l’image des propos de Bruno Le Maire : “Croissance et climat sont compatibles ! Je ne crois pas à l’idéologie de la décroissance et je la combattrai” ou ceux de Gabriel Attal : “La décroissance, c’est l’appauvrissement et la fin de notre modèle social” lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale.
Pic : Benedikt von Loebell
La question que nous nous posons alors est pourquoi la croissance est-elle si farouchement défendue et quelles sont ses limites ?
Le site du ministère de l’Economie annonce la couleur. Il est indiqué que “La croissance est la quête perpétuelle des politiques économiques. Elle est indispensable pour faire face à bon nombre de problèmes économiques et sociaux, celui du chômage en premier.” “Elle permet l’élévation du niveau de vie général. La richesse des nations et de ses citoyens en dépend.” “Sans elle, le pouvoir d’achat stagne, les marchés financiers dépriment”.
A travers ces phrases nous nous rendons compte qu’il y a une forme de dépendance à la croissance et qui tend même vers la croyance. Ici, les marchés financiers sont personnifiés car on leur attribue un état, les citoyens eux, sont réduits à l’action de consommer et la croissance serait même un facteur de bonheur.
Or la croissance qui est mesurée par le PIB, le Produit Intérieur Brut, créé en 1934 par Simon Kuznets, un économiste et statisticien américain, pour mesurer l'effet de la Grande Dépression sur l'économie mais met en garde dès cette date contre l’utilisation du PIB comme d’un indicateur de bien-être.
Cependant, le PIB est devenu l’indicateur phare de nos sociétés modernes et qu’il faut absolument augmenter. Le souci c’est qu’il s’agit d’un indicateur imparfait car il ne prend pas en compte les activités non-monétaires comme le bénévolat ou le travail domestique. Comme l’indique Maxicours, si une personne épouse sa femme de ménage cela fera baisser le PIB car le travail rémunéré de celle-ci se transformera en tâche domestique.
De plus, le PIB est seulement un indicateur quantitatif qui ne prend pas en compte les aspects qualitatifs de la croissance et Maxicours nous donne là encore de bons exemples.
Le PIB ne met pas en évidence la structure de la production. Ainsi, il comptabilise de manière positive la création d'armes comme celle de médicaments. Il ne prend pas en compte le bien-être.
Il n'analyse pas les inégalités qui existent dans le domaine de la répartition de la richesse produite. Les États-Unis font partie des pays les plus riches mais leur nombre de pauvres est supérieur à celui de la France.
Enfin, il ne prend pas en compte des critères décisifs dans la qualité de la vie comme le temps de travail, la durée des vacances ou encore les conditions de logement et de transport.
La croissance s’est accélérée à la fin du XVIII° avec la révolution industrielle et est devenue une quête sans fin. Elle a tellement était au cœur des préoccupations qu’elle est aujourd’hui difficilement remise en question. Car oui, la croissance a été utile à un moment donné pour faire évoluer notre niveau de vie mais, pour reprendre les propos de Timothée Parrique, la croissance c’est de la boulimie alors que la croissance économique devrait être une étape dans le développement de la société.
Nous observons qu’il y a une sorte de peur de retour en arrière ou d’appauvrissement s' il n y a plus de croissance alors que, et nous l’avons souvent souligné dans nos précédents Face Cam, il est impossible d’avoir une croissance infinie dans un monde aux ressources finies.
Pourtant il est à souligner que la croissance est déjà source d’appauvrissement et d’augmentation des inégalités. L’Observatoire des Inégalités nous indique qu’entre 1996 (première année pour laquelle l’Insee a produit des chiffres détaillés de niveau de vie pour chacun des dixièmes de la population de France métropolitaine) et 2015 (dernière année disponible), le niveau de vie médian – celui tel que la moitié de la population dispose de moins et l’autre moitié dispose de plus – a progressé de 20 % une fois l’inflation déduite (comme tous les chiffres de niveaux de vie qui suivent). Pendant la même période, le nombre de pauvres – au seuil à 60 % du niveau de vie médian – a progressé entre temps de 700 000 (+ 8 %). Ce même article nous apprend également qu’entre 1996 et 2015, le niveau de vie moyen du dixième le moins favorisé a progressé de 16 %, celui du dixième le plus favorisé de 28 % : + 100 € par mois pour ceux-là, + 1000 € par mois pour ceux-ci.
Nous pouvons également apporter une autre explication à cette peur de la décroissance et à la sauvegarde de la croissance, comme nous l’avons vu dans de précédentes vidéos, nous vivons dans une société où ralentir et l’oisiveté est assez mal perçues.
Nous sommes éduqués à la rapidité. C’est un critère culturel de réussite. On nous incite toujours à faire plus, à avoir des bonnes stats en termes de production au travail par exemple. Le but est de toujours faire mieux car nous avons assimilé que faire plus était synonyme de progression. Si une entreprise réalise moins de chiffre d'affaires par rapport à l’année précédente ou que son chiffre d’affaires stagne, nous aurons tendance à dire que cela est mauvais signe, que quelque chose ne va pas alors même que ce chiffre d’affaires est peut-être suffisant pour la vie de l’entreprise.
Nous voyons bien que cette recherche de croissance est absurde. Si nous conduisons une voiture et que notre vitesse augmente toujours plus, à un moment donné nous allons perdre le contrôle de la voiture et ce sera l’accident, au même titre qu’un être vivant ne peut pas manger plus que ce que son corps peut contenir sinon il y a un risque d’être malade.
Un monde fini a par définition des limites et ces limites, en plus de ne pas être repoussable à l’infini, doivent être prises en compte pour ajuster notre économie et trouver un équilibre entre nos besoins et notre environnement.
A quoi ressemblerait une société post-croissante ?
Nous voyons donc que la croissance à des limites importantes et qui deviennent de moins en moins soutenables.
Comme nous l’avons évoqué, la croissance aurait dû être seulement une étape dans le développement de nos sociétés et comme le précise Timothée Parrique, il en serait de même avec la décroissance. Le but de la décroissance n’est pas de rester dans ce mode de fonctionnement et de décroitre sans fin mais de retrouver un état de de stabilité avec une économie répondant à nos réels besoins et en accord avec notre environnement et une bonne justice sociale.
Alors à quoi pourrait ressembler une société post-croissante ?
Sur ces projections, Timothée Parrique nous livre là encore quelques pistes.
Il indique notamment dans une interview pour le magazine Campus de l’Université de Genève, qu’une société post-croissante implique notre sortie du système capitaliste. Il mentionne que “Le capitalisme est un système dans lequel la production est organisée de manière spécifique afin de maximiser la plus-value monétaire (la fameuse accumulation du capital) sur la base de la propriété privée des moyens de production, de l’entrepreneuriat à but lucratif, de l’économie de marché et du salariat. C’est donc un système qui ne peut pas décroître sans entrer en crise. (...) la décroissance est un chemin de transition vers une économie post-capitaliste où ces pratiques deviendront marginales dans l’organisation économique.”
A partir de là nous pouvons donc imaginer une société moins concurrentielle et où la lucrativité n’est pas recherchée à tout prix. Cela implique par exemple une quasi suppression de la publicité et notamment dans l’espace public d’autant plus si le but est de produire seulement les biens et services dont nous avons besoin.
Il existe d’ailleurs un exemple en France avec la ville de Grenoble qui est devenue en 2015 la première ville européenne à bannir la publicité de son espace public. Gilles Namur, adjoint aux espaces publics de la ville de Grenoble, mentionne dans une interview pour Grenoble en commun que cette démarche a pour but de rendre l’espace public aux habitants et qu’ils ne soient plus accaparés par des logiques marchandes et consuméristes.
Pic : Génération Voyage
A Grenoble, les panneaux publicitaires ont été remplacés par des arbres, de la végétation ou du street art et il y a eu un déploiement des panneaux d’affichage libre à destination des associations, des unions de quartiers et des acteurs culturels.
Avec ce principe, nous pouvons constater qu’il y a plus de place donnée à la communication d’initiatives locales et qui peut donc aider ses dernières à se développer.
Également dans cette logique de produire moins, cela entraîne par conséquent de moins travailler et de mieux répartir le travail entre les individus. Nous l’avons déjà mentionné à plusieurs reprises mais le philosophe Bertrand Russel indiquait déjà en 1932 que 4 heures de travail par jour étaient suffisantes pour répondre aux besoins des êtres humains. Travailler moins nous libère du temps pour d’autres activités comme le développement d'initiatives locales que nous venons d’évoquer.
Si la lucrativité n’est plus la priorité, une meilleure répartition des richesses est donc envisageable. Sur ce point nous vous renvoyons aux travaux de Bernard Friot sur le Salaire à Vie qui rejoint cette idée de sortie du capitalisme. Pour faire simple, nous serions payé toute notre vie d’adulte pour notre capacité à produire de la valeur pour la communauté, que nous occupions un emploi ou non, et non pas en fonction du poste que nous occupons ou du travail que nous effectuons. Dans une société post-croissante nous pourrions donc assister à un changement des valeurs comme le mythe de la méritocratie et de la valeur travail.
Pic : Radio France
Produire moins induit aussi une moins grande utilisations des ressources naturelles et donc une réduction de la destruction des écosystèmes et une réduction de la pollution. Cela pourrait permettre à certains milieux de se régénérer et de voir la population de certaines espèces réaugmenter. Nous pouvons prendre pour exemple la surpêche qui a fait chuter le nombre d'individus de certaines espèces comme le nombre de thons rouges qui a diminué de 80% en quelques décennies mais qui à également un fort impact sur des populations locales comme en Gambie d’’après Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International qui voient leurs moyens de subsistance s'appauvrir.
Nous pouvons également imaginer que l'économie sociale et solidaire serait un peu plus au centre des débats. Pour rappel, d’après Le labo de l’ESS, l’économie sociale et solidaire est le regroupement d’un ensemble de structures qui reposent sur des valeurs et des principes communs : utilité sociale, coopération, ancrage local adapté aux nécessités de chaque territoire et de ses habitants. Leurs activités ne visent pas l’enrichissement personnel mais le partage et la solidarité pour une économie respectueuse de l’homme et de son environnement.
Et l’ESS a déjà du poids en France. En effet, d'après l’Observatoire national de l’ESS, en 2022, elle représente 10% des emplois en France et 14% des emplois du secteur privé et nous comptabilisons 213 000 établissements employeurs. Nous y apprenons également que l’ESS est présente dans une multitude de secteurs d’activité avec à la fois des activités de production, de transformation, de distribution, d’échanges mais aussi de consommation de bien et de services.
Nous avons donc là un autre système d’économie du quotidien qui est déjà présent et qui semble fonctionner.
Bien sûr il y a beaucoup de choses à imaginer et cette liste est loin d’être exhaustive. Nous vous invitons à nous laisser en commentaire vos idées d’une société post-croissante.
Conclusion
Nous venons de le voir, la décroissance n’a donc rien d'effrayant et n’est pas une fatalité, bien au contraire.
Notre société a besoin d’un rééquilibrage de son mode de fonctionnement afin de répondre aux différentes crises que nous rencontrons.
Mais la décroissance pour fonctionner doit être accompagnée par un changement de mentalité et de nos habitudes.
Cela nécessitera de moins consommer et de moins acheter des choses sur des coup de tête par exemple.
Peut-être que cela nécessitera également de limiter fortement les déplacements en avion pour partir en vacances et de privilégier des destinations moins lointaines.
Mais le plus important est d’arrêter avec cette culture du toujours plus, du toujours mieux. De renverser la culture de la possession matérielle et individuelle. De renverser cette culture de la compétition entre nous dans le seul but de posséder plus et d’acquérir un statut social jugé respectable. De renverser cette culture de la vitesse.
La décroissance est aussi l’occasion de revoir nos priorités et de faire une autocritique des choses qui choses qui fonctionnent et qui ne fonctionnent pas dans notre société.
Évidemment tout cela ne sera pas simple à mettre en place mais si nous prenons le prisme de la crise environnemental et écologique il est urgent d’agir.
La réorientation du mode de fonctionnement de notre société devrait être un sujet majeur avec un large débat ouvert entre nous tous avec une question centrale : quel monde voulons nous demain ?
Et au final, ne faut-il pas mieux se concentrer sur une croissance des savoirs et de la vie plutôt qu’une croissance des chiffres ?
Sources
https://www.facebook.com/watch/?v=312634612946310
https://reporterre.net/Timothee-Parrique-La-decroissance-est-incompatible-avec-le-capitalisme
https://www.economie.gouv.fr/facileco/croissance
https://fr.wikipedia.org/wiki/Produit_int%C3%A9rieur_brut
https://inegalites.fr/Pour-reduire-la-pauvrete-la-croissance-ne-suffit-pas
https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-croissance-est-elle-necessaire-4581950
https://www.unige.ch/campus/campus156/invite/