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Est-ce qu’actuellement vous vous sentez heureux ou au contraire est-ce que le bonheur semble être pour vous un idéal presque inatteignable ?
Alors que nous semblons courir de plus en plus après le bonheur, avons-nous vraiment trouvé la recette qui pourrait nous garantir à tous d’être heureux ?
Le bonheur est un sujet qui déchaîne la passion de la majorité d’entre nous mais est-il si facile que cela à définir, dépend-il de notre responsabilité et peut-on vraiment le chercher ?
Bref, est-ce que le bonheur existe réellement ?
Qu'est-ce que le bonheur ?
Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’était véritablement le bonheur qui est sûrement un des mots que nous écoutons le plus mais dont la définition semble floue pour beaucoup d’entre nous.
Nous vous avons demandé sur Instagram ce qu’était pour vous le bonheur et vous nous avez alors dit…
Nous avons alors rapidement jeté un œil dans les différents dicos et tous s’accordent pour dire que le bonheur désigne un état global et stable de plénitude contrairement au plaisir qui lui est émotion certes agréable, mais de courte durée lié par exemple à la satisfaction d’un désir.
Mais pour certains philosophes, la source du bonheur fait débat.
Par exemple pour Arthur Schopenhauer le bonheur est négatif et est une illusion inaccessible, au moins c’est direct ! Pour Schopenhauer le cycle incessant du désir et de l'ennui empêche l'atteinte d'un bonheur véritable et durable. En effet, le plaisir que nous éprouvons lors de la satisfaction d'un désir est toujours éphémère, et il est rapidement remplacé par un nouveau désir (qui est souffrance car il est lié au manque et à l'insatisfaction) ou par l'ennui. Le bonheur se réduit alors à des moments de soulagement temporaire, où la douleur du désir ou de l'ennui est momentanément suspendue. Le bonheur est alors une simple absence de douleur, d’où le fait que le bonheur est dit négatif chez Schopenhauer.
Nous pouvons retrouver également cette idée d’absence de douleur chez Epicure à travers deux termes que sont l’ataraxie qui désigne l'absence de troubles de l'âme et l’aponie qui est l’absence de douleur physique. Néanmoins, pour Epicure le bonheur est lié à la recherche du plaisir mais pas de n’importe quel façon :
En effet Epicure a classé les désirs en trois catégories que sont les désirs naturels et nécessaires comme manger, boire, se vêtir ou se loger. Ce sont les désirs essentiels à la survie et au bien-être et Épicure considérait qu'il fallait satisfaire ces désirs sans hésitation, car ils sont faciles à combler et apportent une satisfaction durable. C’est la satisfaction de ces désirs qui procure l'aponie et l'ataraxie.
Ensuite viens la catégorie des désirs naturels mais non nécessaires comme les plaisirs raffinés de la table, qu’Épicure recommandait de satisfaire avec modération, car ils peuvent entraîner des souffrances si on les poursuit de manière excessive
Enfin nous avons les désirs non naturels et non nécessaires que sont les désirs artificiels et vains, tels que la richesse, le pouvoir, la gloire ou les plaisirs superflus. Épicure conseillait de les éviter complètement, car ils sont impossibles à satisfaire pleinement et entraînent inévitablement des frustrations et des souffrances.
Nous voyons ici qu’avec Schopenhauer et Epicure que le bonheur est intimement lié à la notion de désir et de sagesse, nous comprenons alors que le bonheur entretient un rapport paradoxal avec le désir.
Comme l’explique Dico Philo, le désir est dit insatiable, source de trouble et permanent tandis que le bonheur est lié à la réalisation de tous les désirs et la disparition des troubles liés au désir.
Ainsi soit l’être humain désire, et il n’est pas heureux, soit il est heureux, et il ne désire plus. Le bonheur va avec l’accomplissement de tous les désirs : c’est un état où l’humain est libéré du désir. Toutefois rien n’assure qu’un tel état soit possible. Faute de voir certains humains cesser de désirer, on peut rejeter le bonheur comme un idéal fictif.
Cette situation conduit alors certains philosophes à penser différemment la notion. Le bonheur pourrait être la simple absence de trouble (ataraxie). Sans chercher à réaliser ses désirs, on pourrait chercher à ne plus être troublé par eux.
Mais vous vous en doutez, de nombreux philosophes voient le bonheur de façon bien différente de ce que nous venons de voir.
Par exemple pour Aristote, le bonheur était le but ultime et est atteint en vivant une vie vertueuse, en cultivant les qualités humaines et en exerçant ses facultés rationnelles. Le bonheur est une activité de l'âme conforme à la vertu
Pour Erasme, le bonheur est lié à l'épanouissement de toutes les facultés humaines, à la culture de l'esprit et du corps. Le bonheur est atteint en vivant une vie active et engagée, en contribuant au bien-être de la société.
Pour Spinoza, le désir est au contraire l’essence même de l’Homme en tant qu'effort de préserver dans son être. Le désir est ce qui nous pousse à continuer d’exister.
Enfin pour les stoïciens le bonheur réside dans la sagesse et la vertu. Il s'agit d'accepter ce qui ne dépend pas de nous et de se concentrer sur ce qui dépend de nous, c'est-à-dire nos pensées et nos actions. Le bonheur est alors atteint en vivant en accord avec la nature et en cultivant la sérénité intérieure.
Bref, le bonheur est bel et bien une affaire complexe mais qui pourtant semble avoir pris aujourd’hui, le contrôle de notre vie.
La Course au bonheur
Nous l’avons compris, plusieurs philosophes au cours de l'histoire expliquent que le bonheur est intimement lié à notre capacité à réguler nos désirs voire notre vie. Pourtant, depuis quelques années, nous semblons être entraînés dans une véritable course au bonheur au point même que ce dernier a pris le contrôle de notre vie.
Happycratie, comme l’industrie du bonheur a pris le contrôle sur notre vie, c’est le titre du livre co-écrit par Eva Illouz et Edgar Cabanas publié en 2018 aux éditionx Premier Parallèle où ils dénoncent l’injonction qui nous est faite d’être heureux.
Pic : Frédérique Plas
Pour Eva Illouz, via la psychologie positive, le bonheur devient un outil au service du néo-libéralisme. Pour elle deux grands aspects caractérisent cette idéologie que sont l’hyper responsabilisation des individus et sa maximisation, l’individu est vu alors comme une machine économique qui doit être maximisée.
Et il faut alors bien comprendre qu’une vision du bonheur “neo-libéral” est bien commode notamment pour des politiques conservatrices mais également pour développer de nouveaux marchés économiques.
Dans un bonheur néo-libéral, ce dernier devient l’affaire de l’individu et seulement de l’individu lui-même. Si une personne est malheureuse, ce n’est pas la faute des structures sociales ou des inégalités de richesse mais de son manque de “positivité” ou de “volonté” empêchant ainsi toute remise en question du système néo-libéral.
Cette vision, couplée à l’idée que le bonheur permet une plus grande productivité, d’atteindre une meilleure version de soi-même et donc de réussir socialement parlant, a pour effet de culpabiliser les individus qui ne parviennent pas à atteindre cet idéal. Sans bonheur, aucune chance de réussir, sans réussite aucune chance d’être heureux.
Et c’est ici que le bonheur est même devenu une marchandise. Pour nous aider à trouver le bonheur ou à devenir la meilleure version de nous-mêmes, un véritable marché du bonheur s'est alors développé avec pléthore de livres ou de coachs qui ne pensent qu’à une chose : nous donner les clés du bonheur… Et prendre notre argent au passage.
Le bonheur est alors devenu une véritable injonction qui a de nombreuses conséquences sur les individus et notre société.
Privatisation et dépolitisation de la souffrance, marchandisation du bonheur, conservatisme social, quêtes inatteignables… Le bonheur semble devenir petit à petit une source de malheur. Mais en parlant de malheur quelle place laissons-nous à nos émotions négatives ?
Avec l'avènement de la tyrannie du bonheur nous assistons en effet à une invisibilisation de nos émotions négatives qui sont reléguées au rang de tabous voire de pathologies. Pourtant, les émotions négatives peuvent être un moteur pour certaines de nos actions.
La colère peut nous permettre par exemple de nous donner de l’énergie pour lutter contre une injustice, la tristesse peut nous amener à chercher du soutien ou encore la peur peut nous pousser à prendre des précautions voire fuir devant un danger.
La négativité est une ressource psychologique indispensable et tout à fait naturelle, seulement aujourd’hui, l’injonction au bonheur a tendance à nous faire refouler nos émotions négatives ce qui peut engendrer des problèmes de santé mentale, tels que l'anxiété ou la dépression, nous empêcher de prendre conscience de nos limites (ce qui peut conduire à l'épuisement professionnel ou personnel) ou encore entraver notre capacité à exprimer nos opinions et à défendre nos droits, ce qui peut conduire, comme nous l’avons vu à un immobilisme social. D’ailleurs le fait même que la psychologie positive se soit “mariée” avec le néo-libéralisme permet à cette idéologie d’être difficilement critiquable. Notre esprit critique qui est vu comme négatif est alors annihilé, la révolte est étouffée.
Des pseudo-sciences s’emparent également de la question du bonheur comme la fameuse loi de l’attraction. Cette croyance repose sur l'idée que les pensées positives attirent des expériences positives, tandis que les pensées négatives attirent des expériences négatives.
Wikipedia nous dit d’ailleurs que “Cette croyance est fondée sur l'idée que les personnes et leurs pensées sont à la fois de la « pure énergie », et que, par le processus de « l'énergie attire une énergie semblable » une personne peut améliorer sa propre santé, sa richesse, et ses relations personnelles.”
Les discours sur la loi de l’attraction sont d’ailleurs de plus en plus présents dans un milieu déjà extrêmement libéral : le milieu entrepreneurial (nous mettons en exemple un article des Echos qui explique comment tirer parti de la loi de l’attraction pour son business) ce qui montre bien comment l’injonction au bonheur portée par le couple psychologie positive et néo-libéralisme a imprégné l’idée en nous que le bonheur était le ressort de notre responsabilité et qu’il était primordial dans tous les aspects de notre vie, comme ici, composante de notre réussite même professionnelle.
Bien sûr, aucun fondement scientifique n’est derrière cette croyance mais vous imaginez bien le niveau de culpabilité dans lequel peut-être enfermé une personne qui aurait des pensées négatives
Est-ce que le bonheur dépend vraiment de nous ?
Face à cette injonction au bonheur, la question à se poser est peut-être de savoir si notre bonheur dépend réellement de nous.
Comme nous l’avons vu précédemment, certains philosophes insistent sur la morale ou la vertu mais nous ne pouvons pas nier que l'environnement dans lequel nous vivons façonne notre conception du bonheur et notre capacité à être heureux.
Chaque année est publié le World Happiness Report qui est une publication des Nations Unies qui classe les pays en fonction du niveau de bonheur de leurs habitants
Sur cette carte de 2024, un vert sombre indique plus de bonheur tandis que le rouge indique moins de bonheur. Nous remarquons alors tout de suite que les pays les plus développés ont un niveau de bonheur plus élevé. La richesse, le niveau de vie ou la stabilité géopolitique des pays semblent donc influer sur le niveau de bonheur des habitants mais cela n’explique pas tout.
Les pays nordiques, qui affichent par exemple le plus haut niveau de bonheur, ont un niveau de richesse équivalent au reste de l’Europe. Comment cela se fait-il alors que la Finlande soit alors 1er du classement et la France 21ème ?
Euronews nous apprend par exemple que les pays nordiques ont un faible niveau d’inégalité de revenus, bien que les chercheurs n'aient pas prouvé qu'il existe une corrélation entre ces inégalités et une grande satisfaction de vie, ils ont pu prouver que si l'inégalité des revenus entraîne la méfiance, elle contribue directement à une moindre satisfaction dans la vie.
Le professeur John F. Helliwell, rédacteur au sein du World Happiness Report estime d’ailleurs qu’une des clés majeures pour expliquer le niveau de bonheur élevé des pays nordiques est la confiance et la bienveillance, tant au sein de leurs institutions officielles que dans leur comportement privé.
Euronews complète d’ailleurs cette affirmation en indiquant que “Les données montrent que les gens sont plus satisfaits de leur vie dans les pays où les institutions sont de qualité. Celle-ci est généralement divisée en deux catégories : la qualité démocratique et la qualité des prestations.
Cette dernière est celle qui est le plus fortement liée au bonheur des citoyens, selon le World Happiness Report : bonnes pensions, congés parentaux généreux, entretien des malades et des handicapés, santé et éducation gratuites, solides allocations de chômage, etc.
Les institutions gouvernementales de qualité réussissent à rendre les niveaux d'inégalité très bas, ce qui rend les gens heureux car ils ont le sentiment de pouvoir faire confiance à leurs institutions publiques.
Cela est indéniable, l'environnement dans lequel nous évoluons à un impact sur notre niveau de bonheur et si les institutions semblent jouer un rôle essentiel, est-ce qu’une refonte complète de notre système de société est-elle nécessaire afin d’augmenter notre niveau de bonheur ?
Honnêtement, tant que ce nouveau système de société n’existe pas, il sera difficile de répondre à cette question. Cependant, au regard de ce que nous avons déjà expliqué nous pouvons peut-être prétendre qu’en effet, une société où :
- Le temps de travail, qui serait alors vu comme une contribution sociale et le temps de repos serait plus équilibré pourrait développer à la fois un véritable esprit collectif et de solidarité tout en laissant une véritable place à l’expression personnelle pourrait être bénéfique pour notre bien-être
- Une société décroissante puis post-croissante permettrait de retrouver un état de stabilité avec une économie répondant à nos réels besoins et en accord avec notre environnement et une bonne justice sociale pourrait d’une part réduire l’anxiété grandissante liée à la crise écologique tout en réduisant les inégalités.
- Une société où la vision majoritaire de la réussite ne se jouerait pas dans la consommation à outrance, dans la satisfaction de désirs de plus en plus nombreux et ne serait pas financière, accompagnée de mesures comme un salaire à vie à la Bernard Friot pourrait faire en sorte que notre vie ne soit pas gouvernée par un désir de richesse qui nous enferme bien souvent dans une insatisfaction la plus complète, dans le sens où ce rêve est inatteignable car notre société est aujourd’hui beaucoup plus basée sur un système de reproduction sociale alors que l’on nous fait croire qu’elle s’appuie sur un idéal méritocratique qui relève en réalité du mythe. Rousseau expliquait d’ailleurs que les désirs se sont multipliés une fois que la société a été créée créant un décalage entre les moyens dont les Hommes disposent pour les satisfaire et le nombre de leurs désirs. Nous pouvons bien évidemment faire un parallèle avec nos sociétés de consommation.
Bref, tout simplement une société avec moins de pressions sociales ou économiques et où, comme le dit Patrick Chamoiseau, le prosaïque serait au service du poétique.
Allez, dernier petit argument pour vous convaincre que le bonheur n’est peut-être pas autant de notre responsabilité que nous le croyons. Saviez-vous que étymologiquement, le mot bonheur provient de deux mots latins qui sont bonum qui désigne ce qui est bon ou positif et augurum qui fait référence à l’augure ou au présage. Le bonheur est donc la bonne fortune, le “bon heur” comme le précise dicophilo c’est une chance qui arrive à l’individu. Il vient de l’extérieur : il n’est pas produit, construit par le sujet. À ce prix, il ne dépend pas de l’être humain d’être heureux. C’est le bonheur qui nous trouve et pas nous qui le trouvons.
Conclusion
Le bonheur reste finalement quelque chose d’assez flou. Il est très probable que chacun puisse ressentir un bonheur provenant de sources différentes que son voisin.
Est-ce à l’individu de chercher ou de construire son bonheur ? Est-ce à la société à laquelle nous appartenons de construire un système pouvant favoriser au mieux l’émergence du bonheur ? Peut-être un peu des deux dans la mesure où nos vies sont certes influencées par une part d’agentivité qui nous est propre mais aussi grandement par les facteurs externes qui nous régissent.
Peut-être devons-nous aussi tout simplement arrêter de nous mettre la pression avec le fait de devoir trouver le bonheur.
Peut-être, comme le disait Philippa Foot, nous devons trouver une valeur qui serait au-dessus du bonheur, c’est-à-dire préférer une vie humaine et authentique avec toutes les insatisfactions qu’elles comportent plutôt qu’une vie où on aurait qu’un simple désir à assouvir où nous serions certes heureux mais simplement heureux.
John Stuart Mill : « il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait »
Rappelons-nous également que ce que nous idéalisons comme source de bonheur peut être au final souffrance et désillusion comme pourrait le dire Kant.
Et peut-être que le bonheur est là, dans la conscience même de savoir que le bonheur est un idéal inaccessible de notre imagination, que nous n’avons pas définition précise de ce dernier ni de la manière dont nous pourrions l’atteindre.